Une fin en soi
Il y a dix ans, le 13 décembre 2015, j’ai été surpris à mon domicile en pleine nuit par mon ex-compagne, que j’avais quittée, et qui ce soir-là s’est introduite chez moi et m’a agressé. Je me suis protégé comme j’ai pu, de sa colère tant de fois entrevue, de ses coups déjà portés, de son mal-être que je n’ai pas su aider, je me suis protégé sans violence face à la furie, appelé les voisins au secours puis la police, qui n’est pas intervenue, pour sauver ma vie. J’ai fait constater mes blessures le lendemain puis porté plainte. Elle a porté plainte en inventant une histoire pour se sauver de ses actes. Pour exister au-delà d’elle-même. On ment parfois pour exister et ne pas se regarder. Ce n’est malheureusement pas l’apanage d’un genre. Émettre des accusations infondées et pratiquer une victimisation à outrance. L’enquête a été bâclée, aucun de mes nombreux témoins n’a été entendu, aucun enquêteur n’est venu chez moi constater les dégâts, les blessures. Les deux plaintes ont été classées sans suite. Une histoire et un traumatisme, que je croyais consignés et enfouis.
On n’échappe pas à son bourreau, parfois on l’aime, on l’excuse, on l’aide, jusqu’au drame. Mais il vous guette sans relâche. Ici il se transforme en elle, c’est rare, ce n’est pas la norme, mais ça existe aussi. L’histoire est faite d’exceptions. D’histoires dans l’histoire. Je l’ai vécu, je le vis encore aujourd’hui. Aujourd’hui elle retourne l’histoire, comme un vertige.
A la fin de cet été, j’ai sorti un livre, Notre Affaire, un livre collectif, avec d’autres auteurs et autrices, dont j’ai réalisé la plus grande partie, la couverture et le fil rouge, celui du combat de Gisèle Pélicot, celui du procès de Mazan. Le jour de la sortie j’ai été victime d’accusations par elle sur les réseaux sociaux, d’accusations immensément graves : violence, racisme, maltraitance et viol conjugal. Rien ne me préparait à cela, rien ne l’annonçait. Mon éditeur, l’Iconoclaste, devait alors faire face à la colère des réseaux. Vingt ans que je travaillais pour eux et Les Arènes, avec la Revue XXI pour entrée, où j’ai appris le temps long, la juste distance, le reportage et l’enquête, loin des news et des gros titres qui ne racontent rien. Là, en quelques heures, au-delà de moi, ils ont écrit ne « pas remettre en question son histoire », que cela montrait « à quel point les violences sont systémiques, même dans un livre comme celui-là », que s’ils avaient su « ils auraient fait d’autres choix éditoriaux ». En quelques heures, sans vérifications d’usage ou approfondies, sans savoir qui parlait et depuis où. Mon éditeur, ma maison, me mettait hors-jeu. De victime à l’époque je devenais accusé à vie. Il fallait que j’apprenne à nouveau à tenir debout.
Comment faire face à cela ?
Je n’ai jamais été violent et me suis tenu loin de toute colère toute ma vie. Je ne suis même pas en colère aujourd’hui, juste triste et profondément meurtri.
Ni calomnie, ni rumeur ne justifie de jeter l’opprobre sur quiconque et l’on ne peut, je ne peux, me justifier de quelque chose qui n’existe pas.
Il faut comprendre avant de juger, sinon l’arbitraire et l’injustice nous guettent, et nous y prenons part et les nourrissons. Il faut prendre le temps de la raison, de la vérité et du droit, seuls à même de nous protéger toutes et tous de la déraison.
J’ai pris une avocate, nous avons écrit un communiqué pour rappeler le droit, la présomption d’innocence, simplement, justement, mais je n’avais plus de lieux pour le publier. Je ne suis plus sur les réseaux sociaux depuis des années, à raison. Mon éditeur occupait tout l’espace. De nombreux médias ont partagé l’histoire et les accusations, en citant mon nom en grosses lettres mais sans rien vérifier ni me consulter. Toutes les digues auxquelles je croyais s‘effondraient.
Pour un simple post sur les réseaux sociaux, j’ai en quelques jours perdu mon éditeur, Les Arènes et l’Iconoclaste, deux contrats d’édition et trois ans de projets autour du monde pour en raconter, encore, les déséquilibres. Très vite je me suis retiré de SOS Méditerranée, que j’accompagnais depuis cinq ans en reportages, livre, conférences, rencontres scolaires, concerts dessinés, pour ne pas les mettre en danger. Un documentaire de France Télévision a retiré ma participation. Dernièrement, les éditions Dupuis, par la voix de leur directeur, ont décidé de retirer mes planches et ma participation à un collectif que j’avais initié et dont je devais également faire les couvertures, arguant que je devais me réhabiliter et qu’en attendant, j’étais mort pour le métier. Ce qui semble être le cas, en grande partie, aujourd’hui.
Voilà où j’en suis après 4 mois. Je ne suis coupable de rien mais accusé à vie, de par un post publié sur les réseaux sociaux, et empêché de travailler et de raconter les dominations, les luttes et la beauté du monde comme je l’ai toujours fait, avec distance, poésie et justesse.
Un condamné peut sortir un livre après quelques jours de prison. Je ne suis pas coupable mais me retrouve interdit d’écrire.
Après une longue réflexion ces derniers mois, j’ai décidé de ne pas entreprendre d’actions en justice. Pour plusieurs raisons.
Je ne peux convaincre tout le monde, le mal est malheureusement fait. Le doute, la détresse et la peur des gens s’en emparent. Je ne comprends que trop ces traumatismes, et rien ne changera complètement cela. Même si je gagnais en diffamation, la rumeur gagne souvent sur les lois. Il faudrait qu’il y ait une plainte. Il n’y en a pas. Et nous ne pouvons malheureusement refaire ce procès. Si il y avait une nouvelle plainte, alors je pourrais répondre avec le droit. Ici, je ne peux pas. Il n’y a pas de preuves aux inventions. Je ne veux pas revenir m’exprimer dans l’arène des réseaux sociaux tant ils éloignent de la vérité et nourrissent souvent la haine, le commentaire infondé et la justice hâtive et punitive. Par ailleurs, en faisant un procès, je me rangerais de facto dans le camp des procès-bâillons engendrés par les masculinistes, que j’exècre et combats, et risquerais même de me retrouver défendu par ceux-là. Je peux juste écrire ici ce que je vis et comment je le vis. Voici l’espace public de liberté et de justice qu’il me reste.
L’autre espace qu’il me reste est le mien, celui auquel je tiens et sur lequel j’ai prise. J’ai donc décidé de me tenir loin de tout cela, de continuer à vivre avec douceur et harmonie et l’esprit libre, loin des bruits du monde qui assourdissent. Pour de réels combats, pour conserver ma santé mentale, la vouer totalement à prendre soin des miens. Prendre soin des autres est la seule façon de répondre à l’injustice, et la seule façon que je connais de me tenir debout. C’est ce que j’ai toujours fait. Aider une personne à se tenir debout et prendre goût à la vie est la plus belle chose qui soit.
Sauver nous sauve. Combattre nous meurtrit.
Je conserve mes forces pour cela et me retire donc de l’espace public et du monde de l’édition après un dernier livre à paraître. Je n’ai jamais cherché à mettre mon nom en avant, seulement les histoires et les personnes que je racontais car elles n’avaient pas de voix. J’ai eu ce luxe et ce droit de pouvoir écrire et être publié, d’être né du bon côté, j’en ai toujours été conscient. La vraie vie, elle, continue.
Interdire un auteur d’écrire est une chose grave au-delà de tout. C’est l’empêcher de respirer, l’empêcher d’être, c’est fondamentalement totalitaire et cela crée un précédent dangereux qui concerne tous les auteurs, toutes les autrices, et que rien ne peut justifier. Car personne n’est à l’abri du mensonge et des calomnies. J’en suis la preuve, malgré moi, et je me réserve encore le droit de contester en justice l’action prise par Dupuis à mon encontre, pour protéger les auteurs et leur liberté fondamentale, au-delà de moi.
Je ne vais pas arrêter de dessiner ni de réfléchir, ce serait arrêter de vivre. Je vais juste prendre du recul sur ce monde là. Et peut-être revenir autrement.
Prenez soin de vous, des autres, et soyez doux.
Hippolyte le 20 décembre 2025
Il y a dix ans, le 13 décembre 2015, j’ai été surpris à mon domicile en pleine nuit par mon ex-compagne, que j’avais quittée, et qui ce soir-là s’est introduite chez moi et m’a agressé. Je me suis protégé comme j’ai pu, de sa colère tant de fois entrevue, de ses coups déjà portés, de son mal-être que je n’ai pas su aider, je me suis protégé sans violence face à la furie, appelé les voisins au secours puis la police, qui n’est pas intervenue, pour sauver ma vie. J’ai fait constater mes blessures le lendemain puis porté plainte. Elle a porté plainte en inventant une histoire pour se sauver de ses actes. Pour exister au-delà d’elle-même. On ment parfois pour exister et ne pas se regarder. Ce n’est malheureusement pas l’apanage d’un genre. Émettre des accusations infondées et pratiquer une victimisation à outrance. L’enquête a été bâclée, aucun de mes nombreux témoins n’a été entendu, aucun enquêteur n’est venu chez moi constater les dégâts, les blessures. Les deux plaintes ont été classées sans suite. Une histoire et un traumatisme, que je croyais consignés et enfouis.
On n’échappe pas à son bourreau, parfois on l’aime, on l’excuse, on l’aide, jusqu’au drame. Mais il vous guette sans relâche. Ici il se transforme en elle, c’est rare, ce n’est pas la norme, mais ça existe aussi. L’histoire est faite d’exceptions. D’histoires dans l’histoire. Je l’ai vécu, je le vis encore aujourd’hui. Aujourd’hui elle retourne l’histoire, comme un vertige.
A la fin de cet été, j’ai sorti un livre, Notre Affaire, un livre collectif, avec d’autres auteurs et autrices, dont j’ai réalisé la plus grande partie, la couverture et le fil rouge, celui du combat de Gisèle Pélicot, celui du procès de Mazan. Le jour de la sortie j’ai été victime d’accusations par elle sur les réseaux sociaux, d’accusations immensément graves : violence, racisme, maltraitance et viol conjugal. Rien ne me préparait à cela, rien ne l’annonçait. Mon éditeur, l’Iconoclaste, devait alors faire face à la colère des réseaux. Vingt ans que je travaillais pour eux et Les Arènes, avec la Revue XXI pour entrée, où j’ai appris le temps long, la juste distance, le reportage et l’enquête, loin des news et des gros titres qui ne racontent rien. Là, en quelques heures, au-delà de moi, ils ont écrit ne « pas remettre en question son histoire », que cela montrait « à quel point les violences sont systémiques, même dans un livre comme celui-là », que s’ils avaient su « ils auraient fait d’autres choix éditoriaux ». En quelques heures, sans vérifications d’usage ou approfondies, sans savoir qui parlait et depuis où. Mon éditeur, ma maison, me mettait hors-jeu. De victime à l’époque je devenais accusé à vie. Il fallait que j’apprenne à nouveau à tenir debout.
Comment faire face à cela ?
Je n’ai jamais été violent et me suis tenu loin de toute colère toute ma vie. Je ne suis même pas en colère aujourd’hui, juste triste et profondément meurtri.
Ni calomnie, ni rumeur ne justifie de jeter l’opprobre sur quiconque et l’on ne peut, je ne peux, me justifier de quelque chose qui n’existe pas.
Il faut comprendre avant de juger, sinon l’arbitraire et l’injustice nous guettent, et nous y prenons part et les nourrissons. Il faut prendre le temps de la raison, de la vérité et du droit, seuls à même de nous protéger toutes et tous de la déraison.
J’ai pris une avocate, nous avons écrit un communiqué pour rappeler le droit, la présomption d’innocence, simplement, justement, mais je n’avais plus de lieux pour le publier. Je ne suis plus sur les réseaux sociaux depuis des années, à raison. Mon éditeur occupait tout l’espace. De nombreux médias ont partagé l’histoire et les accusations, en citant mon nom en grosses lettres mais sans rien vérifier ni me consulter. Toutes les digues auxquelles je croyais s‘effondraient.
Pour un simple post sur les réseaux sociaux, j’ai en quelques jours perdu mon éditeur, Les Arènes et l’Iconoclaste, deux contrats d’édition et trois ans de projets autour du monde pour en raconter, encore, les déséquilibres. Très vite je me suis retiré de SOS Méditerranée, que j’accompagnais depuis cinq ans en reportages, livre, conférences, rencontres scolaires, concerts dessinés, pour ne pas les mettre en danger. Un documentaire de France Télévision a retiré ma participation. Dernièrement, les éditions Dupuis, par la voix de leur directeur, ont décidé de retirer mes planches et ma participation à un collectif que j’avais initié et dont je devais également faire les couvertures, arguant que je devais me réhabiliter et qu’en attendant, j’étais mort pour le métier. Ce qui semble être le cas, en grande partie, aujourd’hui.
Voilà où j’en suis après 4 mois. Je ne suis coupable de rien mais accusé à vie, de par un post publié sur les réseaux sociaux, et empêché de travailler et de raconter les dominations, les luttes et la beauté du monde comme je l’ai toujours fait, avec distance, poésie et justesse.
Un condamné peut sortir un livre après quelques jours de prison. Je ne suis pas coupable mais me retrouve interdit d’écrire.
Après une longue réflexion ces derniers mois, j’ai décidé de ne pas entreprendre d’actions en justice. Pour plusieurs raisons.
Je ne peux convaincre tout le monde, le mal est malheureusement fait. Le doute, la détresse et la peur des gens s’en emparent. Je ne comprends que trop ces traumatismes, et rien ne changera complètement cela. Même si je gagnais en diffamation, la rumeur gagne souvent sur les lois. Il faudrait qu’il y ait une plainte. Il n’y en a pas. Et nous ne pouvons malheureusement refaire ce procès. Si il y avait une nouvelle plainte, alors je pourrais répondre avec le droit. Ici, je ne peux pas. Il n’y a pas de preuves aux inventions. Je ne veux pas revenir m’exprimer dans l’arène des réseaux sociaux tant ils éloignent de la vérité et nourrissent souvent la haine, le commentaire infondé et la justice hâtive et punitive. Par ailleurs, en faisant un procès, je me rangerais de facto dans le camp des procès-bâillons engendrés par les masculinistes, que j’exècre et combats, et risquerais même de me retrouver défendu par ceux-là. Je peux juste écrire ici ce que je vis et comment je le vis. Voici l’espace public de liberté et de justice qu’il me reste.
L’autre espace qu’il me reste est le mien, celui auquel je tiens et sur lequel j’ai prise. J’ai donc décidé de me tenir loin de tout cela, de continuer à vivre avec douceur et harmonie et l’esprit libre, loin des bruits du monde qui assourdissent. Pour de réels combats, pour conserver ma santé mentale, la vouer totalement à prendre soin des miens. Prendre soin des autres est la seule façon de répondre à l’injustice, et la seule façon que je connais de me tenir debout. C’est ce que j’ai toujours fait. Aider une personne à se tenir debout et prendre goût à la vie est la plus belle chose qui soit.
Sauver nous sauve. Combattre nous meurtrit.
Je conserve mes forces pour cela et me retire donc de l’espace public et du monde de l’édition après un dernier livre à paraître. Je n’ai jamais cherché à mettre mon nom en avant, seulement les histoires et les personnes que je racontais car elles n’avaient pas de voix. J’ai eu ce luxe et ce droit de pouvoir écrire et être publié, d’être né du bon côté, j’en ai toujours été conscient. La vraie vie, elle, continue.
Interdire un auteur d’écrire est une chose grave au-delà de tout. C’est l’empêcher de respirer, l’empêcher d’être, c’est fondamentalement totalitaire et cela crée un précédent dangereux qui concerne tous les auteurs, toutes les autrices, et que rien ne peut justifier. Car personne n’est à l’abri du mensonge et des calomnies. J’en suis la preuve, malgré moi, et je me réserve encore le droit de contester en justice l’action prise par Dupuis à mon encontre, pour protéger les auteurs et leur liberté fondamentale, au-delà de moi.
Je ne vais pas arrêter de dessiner ni de réfléchir, ce serait arrêter de vivre. Je vais juste prendre du recul sur ce monde là. Et peut-être revenir autrement.
Prenez soin de vous, des autres, et soyez doux.
Hippolyte le 20 décembre 2025
